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Design et développement - Coyright AXEDESIGN - Myrose

LES 4 ET 5 MAI 2000

JOURNEES DE SENSIBILISATION A LA PROBLEMATIQUE DE L'ENFANCE MALTRAITEE
IUT DE SAINT-PIERRE

INTERVENTION DE MYROSE MASSEAUX-CAILLET, AMAFAR

LE DROIT DE LA FAMILLE, QUAND ELLE EST IMPLIQUEE DANS UNE PROBLEMATIQUE D'ENFANCE MALTRAITEE


Bonjour !

Je me présente. Je suis Myrose MASSEAUX-CAILLET, Médiateur familial

J'ai enfin l'occasion de m'exprimer publiquement, sur ce plus que délicat et dramatique problème qu'est l'enfance maltraitée.

Si je devais donner un titre à mon intervention, ce serait : vigilance oui, mais aussi prudence, ou : il est parfois urgent d'attendre.

Des enfants maltraités, oui, bien sûr, des parents maltraitants, certes, mais combien démunis sont ces parents, fatalistes, découragés, désespérés, lorsqu'ils ne trouvent plus aucune oreille bienveillante pour entendre, et encore moins écouter leur détresse.

Lorsqu'une mesure de placement est prise dans une famille, il arrive, plus souvent qu'on ne le pense, que cette famille soit dépassée par les événements, elle ne comprend pas ce qui s'est passé, elle n'a pas été préparée à cela. Alors, que faire ? Que peut-on faire pour éviter que des placements, qui, s'ils mettent les enfants hors d'un danger immédiat, ne déstabilisent néanmoins une famille entière, parfois pour un temps long, trop long, quand ce n'est pas pour toujours ?

Ces parents maltraitants qui sont coupables, bien sûr, de ne pas avoir su, ou pu veiller sur le bien-être et sur l'éducation de leurs enfants, ces parents là, non seulement se voient amputés d'une partie d'eux-mêmes, mais ils ont aussi le sentiment, quoi qu'ils aient fait, par ignorance ou par pathologie familiale, d'être dépossédés d'un pouvoir auquel ils tenaient beaucoup, à savoir leur autorité sur leurs enfants, autorité mal exercée, sans doute, mais non exempte de sentiments.

Leurs enfants, ils les aiment, mal, peut-être, mais lorsqu'on les leur prend, ils n'ont plus rien. Sauf cas particuliers et assez isolés, j'ai rarement vu des parents abandonner la bataille pour essayer de les récupérer.
Les familles réunionnaises ne sont pas toutes maltraitantes, fort heureusement. Ce phénomène ne constitue pas moins une préoccupation récurrente dans la plupart d'entre elles.

Je rencontre beaucoup de parents, et aussi quelques enfants, dans des associations de quartier à Saint-Denis où j'interviens dans le cadre de causeries-débats sur la fonction parentale.

Je dois dire, que se développe une certaine psychose du placement intempestif des enfants, et de tracasseries administratives ou judiciaires pour les parents. Ces parents me font part de leur peur panique de devoir exercer leur rôle d'éducateurs.

Et lorsque je les invite à ne pas démissionner de leurs responsabilités parentales malgré les difficultés, à continuer à exercer leur autorité qui est nécessaire à l'équilibre des enfants, des cris de colère fusent.
Je cite : "Madam ! Y voit ou connaît pas ! Ou croit ou gagn' encor éduque out zenfant coméla ? L'assistante sociale y vient tout suite prend' a zot et ou voit plus du tout out zenfant. Ou gagn' même pu don' a zot un claque, zot y regard' a ou et y dit a ou : Tap' a moin, mi ça va di à l'assistante sociale et la loi va venir !"
" Ou comprend alors pourquoi n'a tant délinquance ? C'est la loi même qui fabrique band' délinquants ! Ni gagn' pi fait rien ! Ni laisse tout tomber !"

Après cette entrée en matière, les langues se délient et c'est à qui me raconte que son enfant a été récupéré à la sortie de l'école, sans qu'elle en ait été informée. Une voisine l'aurait dénoncée parce que chaque soir, elle obligeait son fils à faire ses devoirs et, devant son refus, elle le réprimandait, et, une fois, elle lui a donné une claque ; l'enfant s'est mis à hurler comme si on l'assassinait.

Je pensais intérieurement en écoutant ces témoignages : "où sont passées nos bonnes vieilles claques d'antan ? Çà remettait bien souvent les idées en place ! A-t-on été pour autant maltraité ?"
Et j'en entends encore ! Et çà continue ! Et je me dis que ce n'est pas possible.

Telle autre personne raconte : " Ma fille habite à côté de chez moi, dans une famille d'accueil. Elle a 10 ans et veut me voir, mais cela lui est interdit. Mes démarches tant auprès du Juge des Enfants qu'auprès des services sociaux n'ont rien donné. Il est vrai qu'à l'époque, mon mari buvait un peu et le soir, quand il rentrait, il faisait des scènes et ma fille avait peur, mais il ne la frappait pas. Il se vengeait sur les meubles qu'il cassait. On a pris mon enfant. J'ai quitté mon mari dans l'espoir de récupérer ma fille mais sans succès. Qu'ai-je donc fait moi pour être si douloureusement privée d'elle ?"

Une autre mère disait : " J'ai interpellé le juge dans la rue, j'ai osé car au tribunal je ne pouvais même pas le voir. J'ai pleuré, pleuré avec le greffier pour avoir un simple droit de visite sur mes enfants qui avaient été placés parce que j'ai fait une dépression nerveuse. Mais maintenant, je vais mieux, je suis suivie par un thérapeute, mais "ils" ne veulent toujours pas me rendre mes enfants. Je vais constamment voir l'assistante sociale qui est fatiguée de me répondre la même chose : il faut attendre. Je n'en peux plus. Est-ce que l'assistante sociale fait vraiment quelque chose ?"
L'inquiétude de cette mère était : quel jugement ses enfants porteront sur elle plus tard alors qu'elle avait le sentiment de n'avoir pas démérité ?

Il y a encore le cas de cette jeune femme qui, un soir, en rentrant chez elle, harassée, après son travail d'employée de maison, est soudain prise d'un coup de cafard et boit un verre de rhum, et un deuxième. Elle se rend compte qu'elle a oublié de prendre du pain, ressort, prend la voiture, provoque un accident et tue un enfant. Elle fait de la prison et ses enfants sont placés chez ses beaux-parents qui, déjà, ne la portaient pas dans leur cœur.

Durant son incarcération, elle avait commencé à entreprendre des démarches pour récupérer ses quatre enfants. Une fois libre, elle persévère, engage une procédure, fait le siège du cabinet du juge, harcèle les services sociaux, retrouve du travail, ne boit plus. Hélas, pendant son absence, ses beaux-parents ont fait un lavage de cerveau aux enfants. Mais si elle parvient à leur faire parvenir de temps en temps du courrier et même de l'argent en trompant la vigilance des grands-parents, elle sent qu'il lui sera difficile de les retrouver un jour. Jusqu'au droit de visite qui lui a été refusé après que les enfants, sans doute "manipulés" eurent déclaré à l'enquêteur social qu'ils ne voulaient plus jamais la revoir.

Cette pauvre mère me dit alors, fataliste : "C'est fichu, comme si ce n'était pas assez d'être torturée par le souvenir de cet enfant que j'ai tué, d'être poursuivie par la haine des parents de la petite victime, d'avoir fait de la prison, voilà maintenant que j'ai perdu mes enfants. Je tourne en rond, seule dans ma case, et j'ai l'impression de devenir folle !"

Face à toutes ces situations qui me sont soumises, je me trouve quelque peu démunie, je n'ai même pas un bout de réponse à donner. Je ne peux que dire un mot d'encouragement à l'un, donner de l'espoir à l'autre, mais je sens bien que cela ne suffit pas, ils en attendent tellement plus !


Je suis pourtant convaincue que l'on peut faire plus, et mieux.
Des tas de questions se bousculent dans ma tête : lorsqu'une mesure de placement est prise dans une famille maltraitante, ne peut-on pas également prendre des dispositions pour la famille tout entière ? Ne serait-il pas possible de lui fournir un accompagnement psychologique voir un suivi thérapeutique ? Est-il vraiment nécessaire de couper complètement les relations entre les parents et les enfants ? Est-on assuré que les enfants ne sont pas plus en souffrance ailleurs que dans leur milieu d'origine ? Prend-on réellement en compte le degré de la maltraitance ? A-t-on suffisamment de travailleurs sociaux pour suivre les familles à risques ?

J'ai le sentiment que tous les cas révélés sont traités de la même manière, que la durée des procédures est la même pour les cas graves, et les cas moins graves, et que ce temps est perçu comme une éternité par les parents.

Je ne peux pas m'empêcher de vous présenter une dernière situation qui m'a laissée perplexe.

J'ai, au cours d'une médiation familiale, accompagné une famille de cinq enfants dont deux majeurs.
La mère rencontrait des difficultés avec la plus jeune de ses filles, 14 ans, qui fumait du zamal, avait des compagnies douteuses, n'allait plus en classe et subtilisait sa carte bancaire pour retirer de l'argent au distributeur. Cette dame ne parvenait pas à connaître l'usage que faisait sa fille de cet argent.

Elle a fait part de ses problèmes à l'assistante sociale de secteur qui n'a pas entendu sa souffrance, et surtout ses angoisses. En dernier ressort, elle a pensé recourir à une médiation qui aurait pu améliorer les choses, mais le mal était hélas, déjà bien enraciné. Il devenait urgent de prendre des mesures.

Pourquoi n'a-t-on pas su entendre son appel ?
Peut-être parce que l'on s'est arrêté à ce qui était visible, au paraître de cette femme, à la tête d'une famille monoparentale, obligée de travailler, ce qui lui laissait peu de temps pour communiquer avec ses enfants.

Comment peut-on éviter cela ?
Cette mère pensait à juste titre que sa mission première était d'assurer la subsistance pour les enfants. Pour le reste, elle faisait confiance aux aînés, mais l'aînée des filles, âgée seulement de 17 ans n'a pu assumer la charge qui était bien trop lourde pour elle.

Que faire ?
Cette femme épuisée après sa journée de travail peut-elle encore communiquer avec ses enfants alors qu'elle a le dîner à préparer, la lessive à faire, le ménage etc... ? Cela n'est sûrement pas facile.
Elle me dit : "Vous savez, c'est tout juste si on ne me reproche pas de trop travailler !

Que répondre ? Travailler moins pour s'occuper un peu plus des enfants ?
Gagner plus pour leur offrir plus d'avantages matériels ? Qu'il est difficile d'être parent sans reproche.

Je ne terminerai pas mon intervention sans évoquer une autre forme de souffrance, celle qui existe dans des familles où il n'y a pas eu placement et où l'un des parents est suspecté d'avoir eu des gestes déplacés à l'égard d'un enfant. Une fillette, âgée seulement de 2 ans, répétait souvent papa en touchant son sexe. La mère affolée, a pris l'avion avec l'enfant, a déposé contre le père une plainte qui s'est soldée par une ordonnance de non-lieu.

Le père a tout fait pour retrouver sa famille, pour la faire revenir. Il a quitté son travail, est allé voir sa femme et sa fille en métropole pour essayer de reprendre la vie commune. Il a su par la suite que c'est la belle-famille qui avait influencé son épouse restée très dépendante de ses parents.
Si la famille est de nouveau reconstituée, il n'en demeure pas moins que le doute, ce poison, continue à polluer les relations au sein de la famille où il n'y a plus de confiance réciproque, où le père n'ose plus faire un câlin à sa fille, de peur de croiser le regard de la mère, où quand il lui fait sa toilette, il fait chanter et rire sa fille pour que la mère l'entende !

Comment peut-on vivre sans confiance, comment bâtir une famille sans ce ciment qu'est la confiance ? Que sont devenus les mots tels que respect, honneur, honnêteté, dignité, tendresse ? Où sont passés les petits noms gâtés d'avant que l'on donnait aux enfants : 'tit bichique papa çà, 'tit coq maman ?
Ils peuvent paraître suspects aujourd'hui !

Pourquoi un père n'aurait-il pas le droit de caresser sa fille, une mère son fils, sans être aussitôt suspecté ? Je trouve cela terrible !

Cependant, j'aimerais penser à la fin de cette journée que tout n'est pas si grave que cela, que le tableau n'est pas si noir, que des moyens peuvent être donnés à chacun de nous pour aider davantage, écouter davantage, accompagner davantage ces familles qui sont, elles aussi, maltraitées par la société.

Ce serait enfin l'amour revenu ! Le mot est lâché, il me démangeait depuis un moment. Nous pourrons alors vivre avec les autres, tous les autres et particulièrement ceux qui souffrent, et non pas, à côté d'eux.

J'en aurais tout à fait terminé lorsque je vous aurais dit que les associations qui œuvrent en direction des familles et avec elles, ont au moins le mérite de croire à l'amélioration de la communication entre tous les êtres, et, en ce qui me concerne personnellement, je forme le vœu que les travailleurs sociaux, du côté desquels je me place, poursuivent leurs missions avec une certaine humilité dans l'appréhension des situations humaines pour éviter toute sorte de maladresse préjudiciable aux familles.

Je vous remercie de votre attention.