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Design et développement - Coyright AXEDESIGN - Myrose

Contribution écrite aux Travaux de la 4ème Conférence Européenne sur le droit de la famille en date des 1er et 2 octobre 1998 à Strasbourg sur ma pratique de la Médiation Familiale.


par Myrose MASSEAUX-CAILLET, médiateur familial depuis trois ans en secteur libéral à l'Ile de LA REUNION ( Région de la France d'Outre Mer, à l'Est de Madagascar, dans l'Océan Indien ).

Compte tenu des spécificités locales et des différentes ethnies qui composent La Réunion, il nous a fallu adapter les outils que nous avions reçus pendant notre formation.
Au mélange des races et des religions se greffent des croyances et des rites venus d'ailleurs.
A cela s'ajoutent les séquelles de l'esclavage et l'implication très forte des familles réunionnaises avec l'immixtion de l'entourage dans le couple.
Nous nous limiterons à décrire à travers trois situations quelques unes de ces spécificités, en particulier en cas de rupture dans les couples mixtes.

- CAS N° 1 -

Un métropolitain s'installe à La Réunion, à 12 000 KM de ses origines géographiques, et rencontre une " malbaraise " (Réunionnaise d'origine indienne : peau brune, cheveux couleur jais, yeux de velours ). Il en tombe amoureux et l'épouse.
Cette jeune femme, non seulement ne parvient pas à s'éloigner de sa famille, mais continue à pratiquer sa religion " tamoule " ( cérémonies, rites, sacrifices d'animaux, jeûne, marche sur le feu etc... ). Le mari, au début, tente de s'adapter ( curiosité, goût de l'exotisme ), mais finit à la longue par en être " choqué "; c'est alors le rejet total. Surtout, il ne veut pas que ses enfants assistent et soient mêlés à ces pratiques, qu'il caricature même par dérision, ce qui est perçu par l'épouse comme la suprême injure et sera la cause de leur conflit.
Ils se séparent et recourent à la médiation avant d'engager une procédure de divorce.

1 - Le médiateur accueille d'abord la souffrance du mari qui se sent seul, loin de sa famille et pas vraiment " accepté " par sa belle-famille. Il ne comprend pas que les enfants puissent assister à ce genre de cérémonies qu'il qualifie " de sauvages " et qui ne peuvent, selon lui, que les traumatiser. Il craint pour l'avenir des enfants qu'il souhaiterait emmener en Métropole pour leur donner la même éducation que lui-même a reçue.

2 - Le médiateur entend également l'épouse qui exprime aussi sa souffrance, avec beaucoup de véhémence. Son mari ne l'a jamais présentée à sa famille comme s' il en avait honte.
Elle bénéficie en outre du soutien inconditionnel de sa famille qui ne se gènera pas pour l'aider à " jeter " l'époux hors du domicile, en le traitant de " sale zoreil ",- appellation donnée aux métropolitains mais qui, dit avec cet adjectif qualificatif, constitue une insulte à connotation raciste.
Comment faire évoluer cette situation de blocage ?

Le médiateur va insister sur le respect mutuel que les époux doivent avoir pour leurs différences et donc les accepter. Il utilise le levier qui, immanquablement, fera " bouger " les positions, à savoir les enfants, qu'ils aiment tous les deux, et qu'ils voudront préserver au mieux. Comme parents, ils savent mieux que quiconque ce qui est bon pour les enfants. Tout le travail portera sur ce point essentiel.
Après avoir fait faire aux parents le bilan de leur situation tant conjugale que parentale, et les avoir amenés à mutualiser, pour la première fois, leurs souffrances, une fois les émotions régulées, le médiateur rencontre aussi les enfants pour leur expliquer la situation tout en veillant aux choix des mots pour ne pas les blesser davantage. Il invite ensuite les parents à trouver une solution.

Solution n° 1

Il est fréquent que, à La Réunion, les " Tamouls " qui adorent les divinités principales, à savoir BRAHMA ( le Créateur ), VISNOU ( le Préservateur ), et SHIVA ( le Destructeur ), suivent et pratiquent parallèlement la religion judéo-chrétienne.
Les enfants pourraient suivre les deux religions.

Solution n° 2

La mère laisse les enfants partir en Métropole avec leur père, si elle parvient à accepter que leur avenir scolaire et professionnel est plus important que la question des pratiques religieuses. Elle les verra le plus souvent possible, en participant au coût des billets d'avion, sinon le père le supportera dans son intégralité. Elle s'engagera alors à ne pas les influencer lorsqu'ils viendront chez elle, et à ne pas les contraindre à suivre ses propres rites et croyances.

Solution n° 3

Les enfants restent avec la mère qui s'engage à ne pas leur imposer sa religion en leur laissant le choix, lorsqu'ils seront en mesure de le faire, et à les envoyer en Métropole voir leur père et leurs grands-parents paternels aussi souvent que possible. Le travail à faire en entretien est de lui faire admettre que même si elle n'a pas été acceptée par sa belle-famille, les enfants ont cependant besoin de leur deux lignées parentales pour leur équilibre et leur épanouissement.

- CAS n° 2 -

Une créole blanche épouse un " Cafre " ( d'origine africaine, très noir de peau et cheveux crépus ). Ils sont tous deux nés à La Réunion, mais, même s'il n'en laisse rien paraître, le mari souffre des séquelles de l'esclavage que ses ancêtres ont connu au siècle dernier. Objets entre les mains du " maître " ( un blanc d'origine métropolitaine ), les esclaves mâles étaient des géniteurs totalement irresponsables de leurs progénitures qui venaient fructifier le capital du propriétaire. Cette attitude d'irresponsabilité, transmise par les générations malgré l'abolition car inscrite dans l'inconscient des descendants, et doublée d'un complexe d'infériorité à l'égard de l'épouse blanche, va se reproduire aujourd'hui et être la cause de la rupture du couple.
Malgré les enfants à s'occuper, la mère doit travailler dur pour subvenir à leurs besoins, et lorsqu'elle lui reproche de ne pas faire d'effort pour l'aider, son conjoint rétorque en créole : " a ou la fé zenfan la, pa moin ", ce qui signifie : " c'est toi qui as fait ces enfants, ils ne m'appartiennent pas ". Il finit même par nourrir à l'égard de sa femme un sentiment de haine en la traitant de " yab " ( en créole: petit blanc vivant retiré dans la montagne, considéré taré à cause de la consanguinité ). Il la bat et prend en quelque sorte sa revanche sur une descendante des bourreaux de ses ancêtres.
Ils sollicitent une médiation familiale et suspendent la procédure judiciaire en cours.

Se met en place le processus classique, à savoir, faire admettre aux époux leurs différences, et utiliser le levier en se référant aux enfants qui sont par leur beauté le résultat d'un métissage réussi. Il ne faut pas leur faire vivre un passé douloureux qui appartient à l'Histoire.
Quant bien même les époux auraient commis une " erreur " en se mariant malgré leur disparité en ne réfléchissant pas assez aux conséquences que leur différence de couleur et de culture allait provoquer, les enfants n'ont pas à en payer le prix en les voyant se déchirer.
Le médiateur, grâce à ses origines réunionnaises, a su déceler derrière la violence exercée par le mari, une grande souffrance. Son travail va consister à lui faire comprendre que l'amour n'a pas de couleur. Personne à La Réunion, ne peut se targuer d'être de race pure.
Par sa conduite, le père faisait vivre à ses enfants d'une manière négative un passé dont il faut au contraire tirer le meilleur pour l'avenir, à savoir la richesse d'une culture venue d'Afrique.
Le rôle du médiateur est, dans cette situation, plutôt éducatif. Il invite le mari à retrouver sa dignité " d'homme libre " en cherchant du travail, afin de gagner le respect de sa femme et de ses enfants; il n'est l'esclave de personne et il ne doit pas mettre son épouse dans un " état d'esclavage ". En utilisant la langue créole, le médiateur aide l'époux à se déculpabiliser tout en prenant ses responsabilités.
Avec l'épouse également un travail est fait pour qu'elle n'accepte plus d'être insultée et battue et qu'elle retrouve sa dignité de femme.

Solution n° 1

Tout en conservant son emploi, la mère gardera les enfants, le père pourra les voir librement et même apporter sa contribution financière si modeste soit-elle, après avoir retrouvé toute sa place grâce à la médiation.

Solution n° 2

Les enfants iront d'un domicile à un autre en toute liberté, sans contribution financière entre les parents, sorte de garde alternée qui sera formulée autrement dans le projet d'entente dans le respect des règles de droit, mais qui fera l'objet d'un engagement écrit séparé que les parties respecteront bien entendu.

Solution n° 3

Le père garde les enfants avec le consentement de la mère, subvient principalement à leurs besoins avec l'aide de l'autre parent, s'engage à financer ultérieurement leurs études supérieures.
Ce Cafre pourra un jour se dire, bien que descendant d'esclave : " Voilà ce que j'ai fait de mes enfants ".

- CAS N° 3 -

Un Réunionnais d'origine chinoise, empreint de confucianisme ( respect des ancêtres, de la hiérarchie, des valeurs éducatives ), épouse une " zoreille " (métropolitaine). C'est une femme libérée, active, indépendante financièrement de son mari et sans attache familiale.
Lorsqu'il a fallu prendre ensemble des décisions importantes concernant la famille, elle s'aperçoit que conseils et autorisations ont déjà été donnés par " le patriarche ", son beau-père que son époux vénère, respecte et craint comme un dieu.
Ils viennent en médiation sans envisager pour l'instant de saisir le Juge aux Affaires Familiales.

L'épouse, qui ne bénéficie d'aucun soutien de sa famille trop éloignée, souhaitait que son mari la consulte avant d'acheter son commerce qu'elle considère comme une priorité moindre que le projet de construction de la future maison familiale.
Le médiateur lui fait prendre conscience de l'importance des coutumes chinoises ancestrales qu'elle ignorait, faute d'avoir été " introduite " dans sa future belle-famille avant le mariage. Elles constituent aujourd'hui un obstacle à l'harmonie du couple. Il lui faut accepter que les valeurs auxquelles son mari est tellement attaché sont tout aussi respectables que sa liberté de penser et d'agir autrement, et en particulier de ne pas y adhérer.
Les chinois réunionnais ( tout comme les musulmans appelés localement " zarabs " ), forment une communauté très fermée et leurs membres font preuve d'une très grande solidarité dans toutes les situations, y compris familiales.

Solution n° 1

Les parents sont capables d'abnégation par amour pour leurs enfants et dans leur intérêt.
La mère accepte qu'ils ne soient pas séparés de leur père ni de leurs grands-parents, à condition toutefois qu'elle puisse avoir un droit de regard sur leur éducation.
Le père en gardant les enfants essaiera de faire quelques entorses aux traditions.

Solution n° 2

La mère emmène les enfants avec elle en Métropole, et, quand ils viendront chaque année à la Réunion, le père leur inculquera librement les valeurs que lui ont transmises ses parents pour que un jour à leur tour, ils fassent de même pour leurs propres enfants.

Solution n° 3

La mère accepte de rester à La Réunion et de donner au père la possibilité de voir les enfants le plus souvent possible, et évitera de dévaloriser ce dernier à leurs yeux, en " moucatant " ( dénigrant ) ces coutumes qu'elle estimait surannées mais qui, au contraire, constituent une panoplie de richesses intérieures et personnelles que ses enfants exploiteront un jour.